Le Raid Nounours.




















Avant de commencer...

Imaginez qu'un jour, vous êtes à la retraite. Pardon ? Aaaaaahhhh oui ? Tant que ça !!! … désolé… mauvaise amorce pour ce blog… j'ai déjà plein d'ennemis…

Je me reprends : rêvez qu'un jour vous êtes à la retraite. Mieux non ? Le rêve, ça va ?
Et puis il n'y a pas encore de taxe sur le rêve, alors vous pouvez vous lâcher, bien à fond : je suis à la retraite, yes !
Allez, petites photos pour vous aider à encore mieux rêver :




Bravo, vous avez déjà franchi un palier important pour lire ce récit : vous avez quitté la réalité....
Parce que ce sera une suite de sensations et d'images ; un peu rythmée par les bivouacs, mais la chronologie sera toujours un peu aléatoire...

On appellera ça le dépaysement, on pourrait dire le déphasage.
L'Afrique vit à ce tempo, c'est pour cette raison qu'on y voit partout des gens parcourant des kilomètres à pied sans s'occuper du temps que ça peut prendre…


D'origine, je n'ai pas été livré avec l'option "excité", c'est pourquoi, dans cet environnement, mes repères se diluent très vite et disparaissent.
Traduction : les horlogers maniaques et les géographes pinailleurs, aller visionner "Inception" pour la vingtième fois, et quand vous aurez enfin tout pigé…écrivez une thèse la dessus et... oubliez-moi…

Ou encore : amis des voyages 4X4 et de l’informatique embarquée, si vous voulez savoir quel jour et à quelle heure on était au point GPS n° 34 du guide Gandini, tome 6, dernière édition remise à jour, et augmentée du nom de chaque caillou que le gars a croisé… désolé… c'est pas la bonne adresse.

Le registre sera plutôt :
- Un peu de douceur dans ce monde de brutes.
Mais comme, même la douceur on veut aussi nous la vendre, je préfère :
- Un peu de candeur dans ce monde de furieux.

Alors, pour vous décrire brièvement le genre de touristes qu'on est ; rien que le début : j’avais passé un post sur un forum de tortues.

Si vous ne savez pas encore ce qu'est une tortue, allez voir ici:

http://flatcab.blogspot.com/

J'avais donc posté ceci :

"C'est qui qui va où bientôt ? J'ai un peu la flemme de préparer un voyage, et je me ferais bien le gros parasite pour aller n'importe où..."

Figurez-vous que j'ai eu une réponse : alors on s'est retrouvés au Maroc.
Ç'aurait pu être le Lichtenstein…

Vous voyez, un type comme moi, on peut vraiment pas compter sur lui pour savoir si la piste est praticable entre Sidi Bel Oued et Aït Roup Ette…

Vu ?

Mais surtout, surtout, prenez votre temps.
Je vous ai divisé le truc en plusieurs épisodes pour que vous puissiez vous arrêter et reprendre ensuite.
Au cas, par exemple, où vous profitiez d'un petit moment au bureau pour vous évader un peu... discrètement...

Et puis je me suis fatigué à vous écrire ça sans trop de fautes et à soigner le style, alors profitez des photos, d'accord, mais lisez, lisez tout, et vous verrez qu'on voyage aussi pas mal avec les mots...
C'est parti :
Episode 1 : Retour vers le futur, bref, c'est déjà la fin...
( Votre attention s'il vous plaît : l'auteur de ces lignes, désirant étaler son immense culture cinématographique, a décliné des titres de film pour chacun des épisodes de cette histoire. C'est puéril et parfois foireux, mais c'est lui qui décide...)

Donc :
Episode 1 : Retour vers le futur, bref, c'est déjà la fin...

Episode 2 : A nous les petites voitures anglaises...

Episode 3 : la vérité si c'est pas vrai, j'suis un menteur.

Episode 4 : Cinéma Paradisio.

Episode 5 : Les bijoux de la couronne.

Episode 6 : Rencontre du troisième type, celui qui ne sait pas encore, le pauvre, ce qui l'attend...

Episode 7 : La nuit du loup bourré.

Episode 8 : Autant en emporte le sable.

Episode 9 : Le grand c.. avec des baskets blanches.

Episode 10 : Chéri, fais moi peur !

Episode 11 : L'arnaque cœur.

Episode 12 : Le salaire de la peur.

Episode 13 : Allo la terre, vous m'entendez ?

Episode 14 : Rintintin et Rusty.

Episode 15 : Secoue-moi secoue-moi secoue-moi (Classé X...)

Episode 16 : L'homme de Smara.

Episode 17 : La ruée vers l'Ouest.

Episode 18: Danse avec les vagues.

Episode 19 : Le casse...

Episode 20 : Adieu l'ami.

Episode 21 : Les bronzés font le Maroc.

Episode 22 : Le cœur des hommes.

Etonnant, non ?
Alors, donc, Maroc : une fois n'étant pas coutume, petite séquence nostalgie. Parce que les retours de voyage me brassent les neurones...

Autoroute entre Marrakech et Tanger, direction le retour, un berger et quelques bêtes se détachent sur fond de soleil couchant.
Image banale, cliché éculé, et pourtant…
Pourtant cette vision n’imprime pas seulement la rétine, mais aussi le cerveau et tous les trucs compliqués qui sont dedans, agréables, mais difficiles à gérer : nostalgie, vague à l’âme, indécision, exaltation, et toute la panoplie des sentiments qui saisissent le trop sensible voyageur..

Il ferait bon se dire « Tchao mon pote, à la prochaine », il ferait bon…
Mais, bien que je ne connaisse pas ses pensées, son regard me trouble.

Il ferait bon être un gros bourrin, il ferait bon avoir des certitudes.
Comme ces braves économistes géniaux qui passent leur temps à t’expliquer chaque jour pourquoi ils se sont trompés la veille…

Le Maroc fait réfléchir, le Maroc ne vous rend pas intact : il dézingue la certitude, mais offre la plénitude et toutes les rimes en ude qui font joli dans les chansons.

Bon, vous n'êtes pas là pour vous farcir trois pages sur « où vais-je, où cours-je et dans quel état j’erre », surtout qu’il y en a quelques-uns qui s’en sont déjà occupé avec talent, mais il faut savoir que quand on a passé un bout de temps au Maroc, la remontée vers nos riantes contrées ne se fait pas sans quelques points d’interrogation... Ou alors : gros bourrin.

Parce qu'au Maroc, le sacro-saint pouvoir d'achat est multiplié par dix, ce qui veut dire qu'un type qui travaille pendant un mois, se retrouve avec... 100 roros. Dans ces cas là, je ne sais pas trop si c'est le fait de paraître riche ou le fait de ne croiser que des pauvres qui me chagrine le plus, mais je suis plutôt mal à l'aise.
Surtout quand on m'explique qu'il ne faut pas être trop généreux pour ne pas déséquilibrer le système...
Remarquez que se taper le resto à quatre, et laisser royalement dix euros, ce n'est pas non plus vraiment désagréable...

Bon, on voyage ou pas ?

Episode 2 : A nous les petites voitures anglaises...

Pousse-toi le chameau, on y va...

Descendre à Marrakech, c’est, de chez nous, deux mille cinq cent bornes. Tu vas me dire qu’on peut prendre le gros bateau à Sète et passer trois jours à glander, mais rien que de voir le moindre bateau j’ai les dents du fond qui baignent, alors je préfère me taper l’Espagne par les doubles voies et les autoroutes.
En conduisant à deux, tu peux être à Algésiras en vingt heures. Ce qui ne fait finalement que cinq fois deux heures de conduite chacun...

À Algésiras, si tu veux embarquer de bonne heure, tu dors sur le port. Non : tu tentes de dormir sur le port...


Parce qu’entre les camions qui te frôlent, les flics qui blaguent pendant deux heures avec le gyrophare et le diesel en marche, le chauffeur de car qui attend dans son engin et le démarre régulièrement pour ne pas trop se les geler, et la trentaine de gus qui discutent dans une langue exotique dont la principale caractéristique est de laisser penser qu’ils vont rapidement en venir aux mains ; tu as beau avoir les boules en cire dans les oreilles et les deux autres sous le menton, ta nuit est foutue...


Quand, enfin, tu montes sur le bateau, il faut te préparer à remplir des papiers que tu vas montrer à un type à casquette assis à une table improvisée entre deux fauteuils, là-bas, tout au bout de la queue, celle des braves gens qui tiennent leur passeport d’une main et leur équilibre de l’autre, en attendant que l’encasquetté leur fasse la gueule en observant leur document d’un air dégoûté et le tamponne d’un air méchant.

Pas de doute, on arrive en Afrique : les gens sont souriant, sauf si tu leur colles une casquette sur le bocal, auquel cas ils deviennent désagréables et agressifs. Tu dis ? Chez nous c’est pareil ?
Pas faux : on peut en conclure que képis, casquettes et casques, ça comprime la tête et empêche le truc à l’intérieur de se développer normalement…

Tu sors ton véhicule du bateau, et te diriges vers un nouveau Cruchot, qui va t’apprendre à tendre le passeport en tirant les coins de la bouche vers les oreilles, parce que si tu montres le moindre signe d’agacement face à la connerie ambiante, tu vas te retrouver rapidement à déballer les petites cuillères et ouvrir tes boîtes de conserve de terroriste… J’ai beau le savoir, ça m’excite toujours autant…

Lorsque Cruchot te lâche, tu quittes Tanger Med et prends l’autoroute en direction du sud, et surtout pas la route qui n’est plus entretenue depuis la création de l’autoroute : trous, morceaux manquants, poteaux tombés en travers : à moins d’aimer les jeux vidéo, tu évites.
Donc, jusque là c'est comme chez nous...


Nous avons rendez-vous à Marrakech, avec un type rencontré sur un forum…
N’étant pas un habitué des rencontres par internet, genre Enunclictunic, je dois avouer que je flottais un peu dans mes baskets.
Et puis, son pseudo sur le site, c'était.... « Raid Lover » …

Mais bon, l’aventure c’est l’aventure ; j'avais dit à ma tendre et chère « j’ai un plan pour le Maroc », et comme novembre chez nous c’est tout pourri, elle avait répondu « bingo ».
C’est pour ça que je l’aime…




J’avais donc un super itinéraire pour aller chez le gars Raides Ovaires, mais l’autoroute fermée pour cause de match (?), nous oblige à contourner Marrakech et entrer par le côté opposé.
À la tombée du jour. À l’heure de pointe. J’ai pas aimé.


J’ai pas aimé le troupeau de mouton que le gars lancé sous mes roues (je rappelle que nous sommes en ville...) m’obligeant à tester l’ABS qui marche bien puisque je me suis arrêté pile dans la laine des bestiaux... sans toucher la peau…

J’ai pas aimé l’odeur incroyable des ordures qui brûlent en permanence.

J’ai pas aimé le flot des piétons, mobs, vélos, tricycles, bagnoles et camions qui jouent au cinquième élément avec le son en gros watts et l’option odorama, type cancer du poumon en moins de trois minutes.

J’ai pas aimé les touristes qui se promènent en calèche au milieu de ce bordel et te regardent comme si tu gâchais leurs vacances, tandis que le sac à crottin de leur bourriquot déborde sur ton capot.

J’ai pas aimé l’impression d’avoir pris un sens interdit alors que non, finalement c’est parce qu’en face ils ont trouvé que c’était plus pratique d’utiliser toute la rue…

J’ai donc pas aimé Marrakech, et tu peux me payer très cher, j’y remettrai pas les pneus.

Par contre j’ai bien aimé le gars Raide à L'air qui nous attendait patiemment.


Il nous avait préparé le repas et la chambre avec le feu de cheminée, et on a passé la soirée à faire connaissance. Comme j’ai tendance à être un peu coincé dans le relationnel, ce fut d’abord très mondain, et quand je repense aux vannes qu’on se lâchait trois jours plus tard, je me dis qu’il va falloir que je travaille la question pour gagner du temps et avoir l’air moins gland…

Episode 3 : la vérité si c'est pas vrai, j'suis un menteur.

Le lendemain, tôt, départ.
Red Couleur circule avec un petit Land cabine courte, à l’arrière duquel il trimballe quelques caisses surmontées d’une tente de toit. Disons qu’il fait un peu gazelle par rapport à notre éléphant.




Disons aussi qu’on devait retrouver une autre cellule, un peu grosse, et que comme elle n’est pas là, je crains que la gazelle ne nous faire passer dans des coins de gazelle, et que ça coince un peu…
Yallah…

Dans la vraie vie, Raide à L'air s’appelle Damien.


C’est un type adorable, mis à part le fait que, le matin, il aime prendre une douche glacée, en plein vent ; et le soir, suçoter un verre de cognac en discutant dehors pendant des heures après le repas, toujours en plein vent...
Je sais pas si c’est pareil pour vous, mais moi, un type qui se verse de l’eau glacée sur le corps en poussant des barrissements d’éléphant pendant que je beurre ma troisième biscotte, bien au chaud dans ma celllule, ça me perturbe le petit déjeuner : je ne peux empêcher une certaine empathie de me gâcher le goût du miel sur le beurre.
Je sais, je suis trop sensible…

Sensible, je le suis aussi du foie, parce que, bien que j’ai tenté de lui expliquer que le cognac et les alcools en général me défoncent l’organe, il aura tout de même attendu que je lui vomisse sur les babouches pour comprendre que je ne bluffais pas…

Damien connaît parfaitement son Maroc, et nous enchaînons donc deux jours de pistes, routes et visites en le suivant benoîtement. Et pour moi qui avait clairement annoncé que j’avais la flemme de préparer un parcours, c’est vraiment un grand bonheur : conduire, regarder et suivre un guide compétent, j’adore :
- On est où là ?
- Sais pas : on s’en fout, c’est beau et ça roule.


Et puis Raid Aster aime le contact humain, alors dès qu’on stoppe, c’est rencontres, sourires, petits marchandages, petits cadeaux et discute.


Novembre, ce n’est pas vraiment la saison touristique, mais tu trouves quand même au sommet d’un col glacial quelques vendeurs de pierres plus ou moins naturelles, plus ou moins colorées et plus ou moins améliorées par la main de l’homme...


Avec le recul, je me dis qu’il faut systématiquement acheter au moins un truc, juste pour leur faire le plaisir de marchander et les remercier d’être là. D’autant que les prix sont dérisoires, et même si tu balances tout dans un placard en arrivant…

Voilà, je dis ça « avec le recul », mais sur place je me suis fait le gros Béru, et il aura fallu que Fred Acheteur nous offre un petit seau qu’il venait d’aquérir pour que je commence à percuter un peu… Ouais, stage de relation humaine, aussi…

Je commence aussi à comprendre que le Maroc, c’est grand.
Très.
Les vallées s’élargissent et tu découvres au dernier moment des villages cachés en plein milieu, tant ils sont intégrés dans le paysage. Beauté d’une architecture et de matériaux totalement indigènes.






Si si, regardez bien, on voit partout des villages…

Premiers bivouacs, et comme nous sommes bien élevés, nous nous caillons l’os chaque soir et avec le sourire, en regardant Damien Le Rustique déballer une demi tonne de matériel, installer son petit réchaud au milieu de ses petites caisses afin de le protéger du vent, et poser ses petites fesses sur le petit tabouret pour mijoter le petit tajine.
Après avoir ouvert sa petite tente, sorti sa petite douche et installé sa petite échelle.


C’est tout un cérémonial, et on le laisse profiter, parce que ces instants bénis sont les derniers : il a commandé l’Ivéco 4X4 avec tout le confort à l’intérieur et il va honteusement s’embourgeoiser en essuyant une petite larme de nostalgie lorsqu’il regardera, sur son ordi connecté 3G, au chaud dans son camion de luxe, les photos du temps où il était encore un homme…

L'inconvénient de partir au mois de novembre, c'est que les jours sont très courts, et je te jure qu'on a vraiment reçu une très très rigoureuse éducation judéo-chrétienne, parce qu'on va continuer chaque soir à se peler stoïquement le jonc en mangeant dehors, en pleine nuit et en plein vent.

Et le petit déjeuner du matin, les doigts collés au bol pour tenter une décongelation des phalanges est un des ultimes exemples de la sainteté…
Episode 4 : Cinéma Paradisio.

Heureusement que ça se réchauffe la journée, surtout du côté de Ouarzazate et des studios de cinéma plantés en plein désert pour le plaisir de ceux qui aiment les trucs bien déjantés.


Parce que déjanté il fallait l’être pour avoir eu l’idée de construire ce gros pâté au milieu de tout ce sable.
Bon, tu as d’abord le décor basique, que quand tu passes derrière tu vois les échafaudages, ouais, facile.






Mais l'endroit est réellement bluffant, parce qu'il y a aussi la vraie ville en vraie résine et en vraie 3D, que tu te surprends à gratter le truc avec l’ongle vu que, même le nez dessus, tu ne sais pas encore si c’est du vrai ou du faux…
Et voici en plus les catapultes en vrai bois, les béliers itou et les tours pour attaquer la citadelle, et tout est à l’échelle 1/1, et si vous avez pas encore compris que j’ai trouvé ça extraordinaire il faut tout relire depuis le début en mettant des points d’exclamation à la place des virgules !


Tout du toc, je te dis !

On se tape ensuite une petite croûte à Ouarzazate, le genre "terrasse au soleil avec le tee-shirt et les lunettes qui vont bien", en se rappelant que nous sommes fin novembre pour vraiment déguster l’instant…
Puis nous prenons le goudron, me demande pas pour aller où : on suit le guide…

Nous dépasserons alors notre seul et unique voyageur cycliste du voyage, tu sais le gars avec un vélo solide de quarante kilos, cerné de sacoches également bien lourdes, un bandana pour empêcher la sueur de couler dans les yeux, des cuisses, mollets et moral en acier cémenté.
Et certainement, avant de commencer l’aventure... une très très vague idée de ce que peut être la circulation au Maroc…

Parce que, franchement, rouler en vélo, sur le goudron, au Maroc, c’est classé 8 sur l’échelle de Frapadingue : juste après le pique-nique au milieu des crocodiles, et juste avant le saut à l’élastique sans élastique…
Je déconseille fortement…
Vu que le Marocain au volant est classé lui aussi à 8… mais sur l’échelle de Banzaï
Autrement dit, c’est pas un moustique en ferraille qui va l’empêcher de dépasser en troisième position face au gros camion qui tient déjà le milieu de la route…

Viendra ensuite le djebel Saghro, voyez, je fais quand même un effort pour essayer de vous situer l'histoire, qui est un joli massif disposé à peu près Est-Ouest et que l’on peut traverser Nord-Sud si on veut monter dans des cailloux, et redescendre dans de la grosse pavasse.
Au milieu est un col, avec petit bistrot qu'il ne faut pas manquer.


Avec le recul, je pense que le gars Raid Killer s’est dit :
- On va tester un peu les capacités du fruits-et-légumes…
Preuve en est que, vu que la piste lui semblait un peu plus facile que lors de son dernier passage, il nous a fait prendre une petite variante, qui est l’ancienne piste.




Bien. Même pas d’odeur sous les bras.
Eh gars, on a fait l’Albanie au mois de juin, alors question brassage de tortue tu nous feras pas caler ! Regarde un peu ici :

Y'a du monde aux balkans.

Bon, maintenant qu'on est redescendus du Djebel Saghro, nous suivons un oued plus ou moins praticable, le genre de passage qui demande du gros gaz, parce qu'il menace à chaque instant de t'engloutir jusqu'au châssis.

À peine sortis de ce dévoreur de puissance, nous allons grimper à nouveau. Mais la sortie de l'oued est assez rock and roll, et, comme il est toujours temps de s'instruire, nous apprenons à cette occasion que la tortue, ça ne mange pas que de la salade : ça bouffe aussi du pneu…

Ici, gâtés que vous êtes, nous allons, oh joie, visionner une petite vidéo pour vérifier cette assertion.

Miam

Résultat des ébats :




Ceux-là, avec déjà deux raids dans les crampons, n'en feront pas un troisième…

Au menu nous avons ensuite une petite grimpette, qui semble aussi faire partie des essais que pratique notre ami Raid Testeur, copieuse, sinueuse, rouleuse, brasseuse. Comme on aime quoi.






A force de monter nous voici à 2000 m.




Et soudain, village.

Episode 5 : Les bijoux de la couronne.

Un gars nous invite à boire le thé chez lui : Damien en est tout illuminé et accepte chaleureusement : nous voici donc assis sur des tapis, dans un endroit aussi glacial en température que chaleureux en ambiance, à boire un thé, puis un autre, puis une autre, et encore un petit pour la route, en trempant des morceaux de pains dans une fameuse huile d'olive.


Nous finissons par repartir et, un peu plus loin nous franchissons un col. Il y a là un "café" tenu par une femme seule avec deux mômes. Et comment tu veux ne pas t'arrêter pour faire marcher le commerce ?
Un thé, puis un thé, puis un autre, et encore un petit, avec les petits gâteaux, et on discute, et Damien nous sort la quincaillerie.

Ah, la quincaillerie de Red Jewels, il faut que j'explique.
Ce gars a racheté un lot de petits bijoux fantaisie, emballés individuellement dans du papier de soie, le genre de truc que les boîtes européennes font fabriquer pour offrir à leurs clients dans le cadre de leur promotion.
Et qui se retrouve dans un carton au fond d'un placard, lorsque les génies à queue de cheval du marketing sont passés à autre chose...

Alors, dès qu'il part, il en remplit un sac qui reste à portée de main, et, à chaque rencontre : petits cadeaux.

Il explique aux gars qu'avec ça les gazelles vont leur sauter dans le slip !

Et aux filles, il leur fait son numéro du charmeur français : sourire modeste la tête légèrement penchée en fermant doucement les paupières ; essaies, c'est un vrai aspirateur à gonzesses.

Mais il t'expliqueras, pour ne pas avoir trop l'air du gros gentil qu'il est, que là, il appâte : il leur balance la quincaille comme le dealer t'offre ta première dose, et qu'il va ensuite ouvrir des magasins dans tout le Maroc et se les faire en or...

Bien, comme on a ingurgité des litres de thé on s'arrête très régulièrement pour faire pleurer le cyclope, mais à force de rouler et de transformer le lait en yaourts, on finit aussi par trouver une belle palmeraie. Et c'est justement l'heure de bivouaquer.
Raid Déménageur s'installe, et nous, ben... on commence à se les geler stoïquement...



Nous sommes assez près de la route et d'un village, c'est sans doute pour ça que des camions circulent très tard le soir et très tôt le matin, et que sur le coup des cinq heures, il y a un type qui grimpe au sommet du minaret et commence à hurler que Dieu est grand et toute la litanie, mais très très fort...

Lorsqu'on a encore fini de se les geler en déjeunant, voici que déboule un gars, disons… bizarre, c'est à dire bien entamé au niveau des neurones. Et bavard... Marrant comme ces gens là ont toujours un tas de trucs urgents à te raconter...
Puisque l'alcool est interdit dans ces contrées, on peut supposer que le type marche au gros chichon : trop fort pour lui...

Départ pour une nouvelle journée qui débute par d'immenses pistes hyper roulantes, sur lesquelles le grand plaisir est de laisser filer le guide, et de fignoler la trajectoire en passant au plus court lorsque tu vois sa poussière faire une grande courbe là-bas au loin : facile et grisant puisque tu roules en toute liberté, sur des kilomètres de large.


Episode 6 : Rencontre du troisième type, celui qui ne sait pas encore, le pauvre, ce qui l'attend...

Ce jour là va donc se produire une rencontre que l'on peut qualifier de fortuite, mais qui, comme souvent finalement, fait reculer les lois de la statistique et du hasard réunies.

J'explique.
Nous parcourons une belle piste sablonneuse comme je les aime, qui te balade la bagnole de droite à gauche sans que tu aies vraiment besoin de tenir le volant, et tu te laisses guider dans un silence onctueux avec l'impression, grotesque, que tu es le roi du pilotage…


Dans ces cas là, mes paupières se mettent en position économie d'énergie et une douce torpeur m'envahit. Ce qui reste alors de cerveau disponible baigne dans le sirop sucré et les images rêveuses.
En l'occurrence, je vois apparaître une tortue garée sur le bas côté. Une tortue, pour ceux qui roupillent en même temps que moi, c'est un véhicule comme le notre surmonté d'une cellule comme la notre…

Bon, donc, une tortue en face de nous, ouais, bien : le gros flan qui me sert de cerveau trouve ça parfaitement normal.
Rappelons que nous sommes au Maroc, sur une piste paumée, et que les chances pour que deux tortues se croisent ici sont à peu près équivalentes à celle de mon accession à la présidence de la république…
Et bien je vous annonce que le prochain président c'est moi, parce que c'est bien une tortue que nous croisons, ici, maintenant !

Un peu d'électricité, deux neurones et une synapse qui se font de signaux de fumée, le gros endormi finit par appuyer sur une des pédales, là-bas en-dessous ; et on stoppe.

Un couple est là, on se salue, et le gars me flaire la Flat Cab comme un clébard en rencontrant un autre : devant, le museau, et ensuite, le derrière… Curieux, non ?
Ces gens-là ont l'air parfaitement normaux, mais le gars qui me flaire le fion, j'ai tendance à trouver ça… louche.

Son inspection terminée il vient vers moi et prononce, d'un air définitif :
- Tu es Vieupatrol.

Mes neurones ont brillamment réussi leur réveil, et je pige la situation : j'avais posté la construction de ma cellule sur un forum, ce gars avait dû jeter un œil sur le post, et il vient de reconnaitre l'engin en se souvenant du nom du constructeur...

Il se présente ensuite comme Claudius 64, et je me souviens à mon tour qu'il construisait, lui aussi, sa cellule à la même époque et qu'il postait aussi son chantier.


Pour l'épisode suivant, ceux qui n'aiment pas le sable, les dunes, le soleil, le ciel bleu et les tortues dans le sable les dunes sous le soleil et le ciel bleu, laissez tomber, passez plus loin, c'est pas pour vous...
Episode 7 : La nuit du loup bourré.

Nous voici donc maintenant trois équipages, Raid Tombeur, Claudius et Nicole, et nous.




Petit détail, nous n'avons pas tout à fait le même rythme que Claude ; je comprendrai plus tard qu'il est plutôt du genre "carte touristique" : trois heures de piste pour aller voir un tas de cailloux homologué "tumulus préislamique", si vous voyez...

Avec Raid Rouleur, nous sommes plutôt " kart touristique" : le plaisir de conduire sérieux et de voir l'écran géant du pare brise afficher en permanence de nouvelles beautés.






Claude s'adapte rapidement, augmente sa cadence, mais fait une croix sur pas mal de sites super intéressants que nous dépasserons sans même savoir qu'ils existent.
Il reviendra... et nous aussi…

Bien que roulant à bonne allure, nous arriverons de nuit au bivouac que prévoyait notre guide. Comme ledit bivouac se trouve dans les dunes, la recherche n'est pas évidente.
Parce que les dunes la nuit, c'est le même jeu que la route en moto, de nuit aussi.

Ici, petit commentaire technique sur l’éclairage d’une moto : le phare est fixé sur la fourche, et la fourche s’écrase ou se détend selon que tu freines ou que tu accélères.
C’est un peu chaud sur les entrées de virage : tu freines, la fourche plonge, et le phare éclaire le garde boue avant, que tu n’avais d’ailleurs jamais pensé à observer, et pas le virage dans lequel tu te précipites pourtant… Sueur.
En sortie de virage, si tu as survécu, tu remets la sauce et cet enfoiré de phare se met à éclairer le sommet des arbres et pas le goudron, où s’apprête pourtant à traverser un sanglier de 120 kg … Sueur, et douche en arrivant.
Essaies, et tu verras si je mens… voilà plus de quarante ans que je me tape les fesses sur des bécanes.

Alors, les dunes ? Ben c'est pareil : en montant tu éclaires les étoiles, qui s'en foutent d'ailleurs, et en descendant, tu vois les deux mètres de sable qui précèdent ton pare-choc avant, et là c'est toi qui t'en fous…

Donc le Damien se paume royalement, et décide sagement de stopper là : là, tu vois, c'est plat, on a de la place pour trois, et finalement, hein, c'est aussi bien qu'ailleurs, non ?
On est de bons camarades alors on fait "oui " de la tête et on s'installe ici : on verra plus loin que c'était la bonne idée du jour…

Ce soir, c'est un peu spécial, puisque nous allons fêter notre rencontre avec Claudius.
Damien Le Tentateur propose de vider son frigo de tous les trucs alcoolisés qui s'y trouvent et je me retrouve avec un gin-tonic. Là, j'aurais dû vérifier les pourcentages du mélange… parce que le gin je l'ai bien senti, mais le tonic, moins...
Bref, le breuvage me rentre directement derrière les yeux, et je ne vois même pas arriver la deuxième dose.
Ensuite c'est le processus normal et vicieux : l'alcool me déshydrate, j'ai soif, et je bois tout ce qui traîne dans les environs…


Comme le Claude a aussi sorti les bouteilles à boire avec modération, je m'arrondis tranquillement jusqu'à une heure indue et la seule chose dont je me souviens c'est que, en allant changer l'eau des olives avant de rejoindre la cellule, j'ai constaté que nous étions à moins de dix mètre d'une jolie petite falaise de sable… et que nous avons eu de la chance de stopper avant…
La bonne idée du jour…

Le lendemain matin j'ai évidemment une bonne grosse casquette en plomb posées sur le crâne…
Episode 8 : Autant en emporte le sable.

J’ai déjà expliqué que le Damien connaît vraiment bien son Maroc, aujourd’hui il nous emmène à Bou Nou, tout à côté de Mhamid.
Pour les voyageurs dans notre genre, Mhamid c’est le début du sable : ici tu peux monter sur une moto, un quad, un chameau ou dans un 4X4, et aller te secouer le lard sur de belles pistes sablonneuses.

C'est-à-dire qu’on va à Mhamid pour le sable.

A Bou Nou, c’est juste le contraire : c’est le sable qui vient, vu qu’il investit progressivement et inexorablement le village. Ça fait de belles images pour le voyageur, mais pour les habitants c’est beaucoup moins idyllique, parce que l’exode c’est rarement photogénique...





Ensuite c'est du bon gros parcours de rêve, pistes sablonneuses et dunettes, le genre de plan qui fait que de temps à autre tu t'arrêtes pour bien vérifier que c'est la vraie réalité.

Je ne suis pas un fan du Dakar, mais je dois reconnaître que monter dans une bagnole et rouler dans le sable, c'est quelque chose qui m'excite gravement.






Quand, en plus, tu trimbale sur ton dos le confort absolu d'une cellule qui va te permettre de dormir au chaud après un bon repas et une bonne douche et en plein milieu de ce décor magique, on frôle le paradis.


Si j'ajoute que ma moitié trouve elle aussi que c'est un trip magique, on comprendra que le Maroc nous reverra bientôt.


Ah, vous plaignez pas, hein, je vous avais prévenus... faut aimer le sable...

En plus, et pour faire vraiment Dakar-illusion, nous croisons bientôt deux gros bahuts équipés comme des pro.





Episode 9 : Le grand c.. avec des baskets blanches.

Un peu plus tard, on croise aussi deux motards en Africa Twin, équipés un peu moins comme des pros, et un peu doux dingues, vu qu'il entament la piste à la tombée de la nuit…
L'Africa Twin est une bonne moto, mais avec les pneus d'origine elle se comporte dans le sable un peu comme un couteau bien chaud dans une motte de beurre.
Lorsqu'on a croisé les deux zigs, ils bombardaient à quinze à l'heure, enfoncés jusqu'à la selle et la poignée de gaz vissée à toc : ou ils ont fondu le moteur dans les dix minutes, ou alors ils ont rebranché le cerveau à temps et passé une super nuit dans le sable…
Dans le style "cerveau débranché" j'en ai trouvé un qui aurait facilement pu faire un podium, c'est le crétin qui écrit ce texte.
Avant d'entamer le vrai sable qui t'aspire les roues, tu dégonfles les pneus. Le premier qui me dit "c'est ridicule, ça abaisse la voiture qui va traîner par terre", ce béotien là je lui explique que c'est pour avoir une meilleure portance, toc.
Je peux aussi lui expliquer que pour dégonfler les pneus, c'est effectivement beaucoup plus rapide en enlevant carrément l'obus de la valve... mais que ça devient tout à fait ridicule et gênant lorsque tu te retrouves à boucher la valve avec ton doigt en cherchant désespérément le tout petit obus minuscule qui s'est barré dans le sable…
Parce que, quand tu le dévisses, l'obus, il y a environ trois kilos de pression qui l'éjectent proprement !
Sous ton doigt ça fait pchiiiittt, dans ton crâne ça fait merdmerdmerdmerd, et dans tes yeux ça fait bipbipbip parce que tu es passé en mode radar pour localiser ce salopard d'obus qui se planque au milieu de ces milliards de grains.
Si tu es très souple, tu peux aussi te mettre des coups de pied au cul, parce que ça le mérite vraiment…
Franchement, si tu es tout seul, t'es mort…
Coup de bol, c'est ma passagère qui retrouvera le petit chéri, planqué… de l'autre côté de la roue, si : derrière…
On peut filer la métaphore en disant qu'au bivouac, je me suis fait chambrer…
Episode 10 : Chéri, fais moi peur !

Le lendemain, re sable.
Autant ce truc est exaltant lorsque tout va bien, autant il devient un terrible ennemi au moment des plantages.
Ma spécialité, c'est le ventral.
L'avantage de cette méthode, c'est qu'il te suffit de la moindre petite dunette pour te vautrer comme une grosse larve. Je suis vraiment super bon là-dedans, le championnat du monde me semble jouable…
La bonne méthode consiste à viser le sommet du tas de sable, et à passer la crête bien perpendiculairement. Attention, le moindre mouvement du volant vers la droite ou la gauche peut te faire louper ton plantage !
Il faut aussi aborder cette crête avec le moins de vitesse possible : si tu sens que tu risques de ne pas te vautrer, tu peux freiner un peu, mais c'est nettement moins classe…
Normalement, tu dois alors sentir le train avant basculer tout doucement de l'autre côté de la dune, et le châssis venir se planter pile sur le sommet.

Une fois cette belle figure réussie, tu commences à comprendre que ton engin est lourd, très lourd, et que le sable est une substance très vicieuse : parce que maintenant, il est très mou sous tes roues, et très dur sous ton châssis.
Tu vas évidemment tenter de pousser ton gros bolide, et t'apercevoir qu'il est carrément soudé au sol, j'adore cette sensation de puissance inutile et idiote…
J'avais, avant de partir, questionné Raid Planteur sur la nécessité ou non d'emporter des plaques de désensablage. Sa réponse avait été :
- Bof, ça fait baroudeur...
J'aimerais bien avoir l'air d'un baroudeur, là, vissé sur mon tas de sable…
Alors je prends bêtement la VHF et annonce sobrement :
- Ayé, j'ai gagné !
À l'autre bout de la ligne, j'entends distinctement un soupir de contentement.
- Tu veux que je te sorte ?
Sous-entendu : t'es prêt à payer cher ?
Je pourrais la jouer fier héros en négligeant l'insulte, mais sans plaques, sans pelle (pour pas faire non plus trop baroudeur…) et même sans couteau ; je suis obligé d'y passer…
- S'te plaît…
Il y a vraiment de durs moments dans la vie… Raid Treuilleur va débouler, et en deux petites poussées sur la télécommande, me tirer du pétrin.
Un qui jubile aussi, c'est le Claudius qui, un peu avant, avait fait appel au treuil pour le même genre de situation : quinze A… balles neuves...
Le soir tombe, bivouac, et, pour la première fois, Raid Chaleur accepte de manger au chaud dans la cellule de Claude, qui peut plus facilement que la Flat accueillir cinq personne. On se fera quand même l'apéro dehors, mais on sent bien que le Damien est de moins en moins Raid quelque chose…
Cinq là-dedans, rien que les vapeurs de ce qu'ils picolent tous me montent à la tête…
Episode 11 : L'arnaque cœur.
Le lendemain nous rejoignons rapidement une route goudronnée sur laquelle nous apercevons bientôt deux voitures arrêtées face à nous : panne.
Un type au volant d’une Clio ; et l’autre qui pousse.
Damien, qui hier soir a forcé sur la terrine de Saint Bernard, décide d’aider ces braves gens.
Un plan se profile...
Le type au volant lui demande de pousser la voiture avec le Land. Petite précision : l’avant du Land est équipé d’un gros treuil, le genre d’outil pratique, oui, on l'a vu…, mais assez proéminent pour occasionner quelques dégâts aux autres véhicules...
Le plan est le suivant : le Land aborde avec douceur l’arrière de la Clio, pousse touuuuuuuuut doucement pour lui faire prendre de la vitesse, puis laisse filer. Alors le conducteur de la plate enclenche la seconde et embraye franchement pour démarrer le bouzin.
Ça, c’est le plan. Dans la réalité, ça ne s’est pas passé exactement comme dans le plan…
Si le Damien a bien posé déééééééééélicatement le treuil contre la malle arrière de la Clio, s’il a bien poussé trèèèèèès proooooogressivement ; le zig au volant a voulu jouer autrement. Disons clairement qu’il avait un gros mou de veau à la place du cerveau ; parce qu’au lieu d’attendre que son engin soit lancé, il t’a rentré illico la seconde et a embrayé dans le même voyage…
Est-ce que je dois préciser que le Land, un peu surpris, lui a défoncé le cul à grand coup de treuil et que la malle a pris la forme d’un emballage de papillote le lendemain de noël ?
Le gars Damien a balayé l’incident d’un laconique :
- Y veut que je pousse, je pousse…
L’homme au cerveau ramolli sort alors de son engin, jette un œil morne au carnage, et, pris d’une autre géniale intuition, propose maintenant à Damien de la tracter. Saint Bernard hausse les épaules, l'air de se dire que si l'autre veut aussi se faire arracher l'avant… et sort la sangle qui va bien.
On accroche la semi épave derrière le Land, et Damien briefe le gars :
- Tu ne t’approches pas trop pour ne pas rouler sur la sangle, hein ?
L’autre sort toutes ses dents de devant, en regardant, très vite, plusieurs fois, et alternativement, le ciel et le goudron : ce dont on déduit qu’il a compris la consigne…
Allez, tirage de la Clio.
Qui ne démarre toujours pas au bout de deux cent mètres, et donc le gars Damien allume ses feux stops pour signifier à notre ami Neuneu qu’il va falloir songer à appuyer sur la pédale du milieu pour ralentir sa daube…
Mais le mec à l’espoir chevillé au corps, et, continuant sur sa lancée, roule sur la belle sangle orange et neuve, et s’aperçoit qu’il en a encore fait une ! Alors il freine brutalement.
La sangle a pas aimé : Telle la cellule vivante en mode reproduction, elle s’est séparée en deux parties identiques, mais inutilisables...
Damien sort alors la kalachnikov qu’il garde toujours dans sa boîte à gants, dégringole du Land avant même que celui-ci ne soit arrêté, fonce vers ce connard incurable et envoie la sauce sur le tas de ferraille et son conducteur ; le sang gicle de partout, la bagnole prend feu et nous voici débarrassé du problème ! Yèèèèèèèèèèèèèsssssssss !!!!!!
Nan ! Damien est du genre placide : il récupère les morceaux de sangle, les noue, raccroche la bouse derrière le Land, et me fait :
- On le tracte jusqu’au bled, mais c’est toi qui conduit.
C’est alors qu’il se passe un truc plutôt inattendu : le gros tocard sort de la Clio, va vers le deuxième gars qui a assisté à toute l’opération sans bouger un sourcil, si, suivez un peu quoi, celui qui poussait la caisse… Il lui serre alors chaleureusement la main, monte dans la Peugeot noire qui était garée là… et se barre !
Si si, il se barre, se casse, s’en va, fout le camp, se tire, dégage…
Et nous, on comprend enfin qu’il était juste là pour rendre service et que la Clio n’était pas sa ouature, mais celle du brave gars à qui il vient de présenter ses condoléances…
Là je dois dire que je suis un peu soufflé, parce que des gonflés comme ça, j’en avais encore rarement vu…
Et le brave proprio, toujours pas plus contrariant que contrarié, de monter maintenant à côté de moi, et de commencer à taper la discute, tout en allumant clopes sur clopes, dans sa bagnole pourrie, que j’ai pas d’assistance pour les freins, que je suis à trois mètre du cul du Land, que l’autre assassin devant nous tracte beaucoup trop vite, qu’il y a une grande descente et que je tire comme un cinglé sur le frein à main pour ne pas emboutir le Damien, et que l’autre innocent à ma droite, comme il s’ennuie un peu, commence à faire le ménage dans sa bagnole, c'est-à-dire qu’il balance tout ce qui traînait dedans par la fenêtre…
Tandis que Raid Tueur est mort de rire et prend même des photos dans son rétroviseur…
Y'a des moments dans la vie, qui ressemblent un peu à un film…
Pas la peine de préciser que lorsque j’ai stoppé l’épave devant la boutique du réparateur, ça sentait un peu la sueur aigre et la fesse serrée…
Episode 12 : Le salaire de la peur.
Grand plaisir : nous avons retrouvé ces immenses pistes qui te font croire que la liberté existe encore.
Ici, tu conduis. Vraiment.
C'est à dire que tu cherches ton passage, ta trajectoire, et qu'à tout instant tu dois décider.
Grand bonheur.
Tu regardes la piste, et pas ton compteur, tu cherches la belle photo à faire, et pas les bleus planqués à contre-jour, et si tu veux vraiment aller très vite, tu ne dois pas prévoir un billet de cent roros et un ulcère à l'estomac, mais une grosse paire de balloches et le talent qui va avec...
Quand Raid Runner nous dégotte une piste d'atterrissage abandonnée, la tentation est trop grande ! Nous allons nous taper un gros run départ arrêté à trois de front : tout le monde pied dedans, fait monter l'aiguille, t'occupe pas de la fumée et mets du charbon !
Ceux qui connaissent savent que ça va rapidement trop vite, et que lorsque le bruit de l'air couvre celui du moteur, c'est que ça commence à avionner sérieux…
Nous n'avons, hélas, ou heureusement, plus vingt ans, et le gabarit de nos engins, plus la piste qui se dégrade, plus le silence assourdissant de nos compagnes vont nous faire mollir…
Avant, au jeu stupide de "si tu freines, t'es un lâche", je gagnais toujours… Vieillir est un naufrage…
Episode 13 : Allo la terre, vous m'entendez ?
Claudius, aime la Radio : Raid Parleur nous a équipés de petits talkies bien pratiques pour communiquer des infos sur la piste qui vient, ou prendre des nouvelles de celui qui a disparu depuis assez longtemps de la vue de ses compagnons.
Claudius, ce qu'il aime, en fait, dans la Radio, c'est surtout causer dedans.
Mais je crois qu'il n'avait pas compris que lorsque tu parles dans la petite boite, tu n'es pas obligé de regarder ton interlocuteur dans le rétroviseur...
C'est pourquoi, me signalant aimablement un passage un peu chaud, il est allé escalader un gros caillou, qui menait pourtant tranquillement sa vie de gros caillou au bord de la piste...








L'a quand même réussi à se décrocher le radiateur…
Ce fut ensuite une succession d'endroits tragiquement beaux et austères.






Au milieu desquels, soudain, un oued.

Bref, encore une superbe journée ; mais comme j'avais encore quelques morceaux de gin-tonic qui me labouraient l'estomac, le moment du bivouac fut le bienvenu...
Et c'est pour ça que je me suis couché en même temps que le soleil, et que le Damien a décidé de baptiser notre voyage "Le raid Nounours", en souvenir de la célèbre série télévisée dans laquelle le marchand de sable passait avec son pote Nounours pour faire dormir les gnares très tôt… et les empêcher de se farcir les sanglantes actualités, puis de mâter les quelques culottes ou soustals pigeonnants que l'ORTF dispensait alors sporadiquement à ses chers téléspectateurs.
Pom pom pom pom… Pom pom pom pom....pom.



Episode 14 : Rintintin et Rusty.

Le lendemain cap au sud, et traversée de sublimes vallées-savane : merci le Maroc.

Au détour d'une piste, un superbe exemple de l'expression "bête et discipliné": le chef a dit aux gars :
- Vous plantez un poteau tous les cent mètres, OK les gars ? "…
- OK chef !



J'adooore…

Nous abordons bientôt un bled dont vous ne connaîtrez jamais le nom, mais dans lesquels nous trouvons un internet-café.
Pendant que les accros du web s'agitent les doigts, je m'installe dans le bistrot et observe ce Maroc profond, ces petits détails anodins qui construisent le quotidien : le bar se veut moderne mais les toilettes sont irracontables, tu peux manger marocains mais aussi du fast food qui espère ressembler à ce que propose ma queue donald ; pas une femme dans la salle sauf … la serveuse ; et du vêtement européen super chicos qui discutent avec de la djellaba super rustiquos.
Et puis, observant tout ce monde de son œil 16/9ème, le grand écran branché sur une chaîne… coréenne… Va comprendre…

Après un petit repas, nous reprenons les pistes, suivant toujours notre Impeccable guide. Nous venons de dépasser un poste militaire quand soudain, il s'arrête, sort de son Land et se plante, l'air d'attendre quelque chose…
Surgit presque immédiatement un clébard, qui nous rejoint ventre à terre, et finit les derniers mètres le séparant de Damien en rampant, pour venir se prosterner à ses pieds…
J'ai déjà dit qu'il connait son Maroc, mais visiblement, le Maroc le connaît aussi. Il passe là régulièrement, et comme il se fait des potes partout, pourquoi pas du clebs ?
Après réquisition de nos restes, il prépare une bonne pâtée à la chienne, et la regarde bouffer d'un air attendri… C'est pas du petit bonheur simple, çà ?


Dès que le clébard a pris douze kilos, on peut repartir...



Nous bivouaquerons dans un ancien fort, endroit incroyable : bâtiments ruinés, source, bassin, et quelques occupants du lieu ravis de notre visite.







Extinction des feux à onze heures, ce qui est un record… et encore, juste parce que nous avons vu bailler le Raid Dormeur…
Il faut dire à sa décharge, qu'il a des journées plus fatigantes que les nôtres, puisqu'il fait la navigation et, surtout, roule dans un engin dont la réputation d'inconfort n'est plus à faire…

Episode 15 : Secoue-moi secoue-moi secoue-moi (Classé X...)

Au menu du lendemain : piste à ne pas mettre de tortue dessus.
Tout commence cool avec une petite vallée que l'on remonte au milieu des champs de cactus.

Puis la vallée devient beaucoup plus étroite, et finit en jolie pistounette entre les murs.
Qui se transforme en un petit canyon bien étroit, qui se resserre bien sûr,et se met ensuite à pencher du côté où quelques rochers calins attendent que tu les grattes.








S'ensuit la méga montée hyper raide et qui secoue bien, le genre qui t'insinue fatalement dans le cerveau la question : la cellule est-elle bien arrimée ?





Corollaire à la question, l'image de ta carapace dévalant la pente derrière toi et allant s'écraser au fond du ravin… Vous l'avez déjà vu ce film ?
Arrivés en haut du toboggan, nous serons récompensés par une vue fabuleuse sur la vallée du Draa, qui, à cet endroit, doit bien faire ses quatre kilomètres de largeur.





Un vent de folie nous dépoussière avec obstination et nous repartons sur… euh… je n'ose pas parler de piste… Imagine la crête d'une montagne, j'écris bien montagne parce qu'il y a vraiment du gaz de chaque côté, et nous roulons sur cette crête en tentant d'éviter les plus gros cailloux, c'est-à-dire ceux qui font plus de quarante centimètres de haut.




En gros et pour faire bref, tu sais qu'il faut passer là parce que l'ami des chiens affamés est passé avec sa sauterelle, sinon, lucide, jamais tu roules par ici…

On va d'autant moins se plaindre que nous croiserons ici deux mômes d'une dizaine d'années qui gardent un maigre troupeau sur ce champ de pierres. Nous sommes très haut, en novembre, le vent est glacial, et ces deux gosses vont certainement passer la journée dans ce petit enfer, et les suivantes aussi, avec un morceau de pain et un bout de fromages pour tout apport de calories.
Et je me souviendrai de cette image lorsque mes petits enfants tordront le nez sur le repas…

Redescendus en des lieux moins hostiles, nous tomberons sur d'autres bergers, sans doute nomades, et un antédiluvien Land bourré de chèvres, à l'intérieur mais aussi sur le toit. Si si, sur le toit. Facile : tu poses une douzaine de cabres sur la galerie, ensuite tu déplies sur elles un grand filet solide, et ensuite tu plaque le troupeau contre le toit en tirant fortement sur le filet…



Ouais, c'est vrai que le Maroc, question bien-être des animaux, c'est assez loin de nos civilisations occidentales…

Question bien-être des gens c'est un peu le même niveau, et le type en tongues au milieu des caillasses à qui j'ai filé ma grosse paire de godasses à semelle bien épaisse aura au moins profité un peu de notre passage….

Vers le soir, nous débarquons dans un nouveau fort, sous une belle lumière de novembre qui fait péter les couleurs.





Et visite d'un autochtone qui a radicalement résolu ses problèmes de climatisation… en virant le pare brise...



Un village paumé, moche, minable, venté, désert. Ça donne envie, hein ? Et bien Raid Flowers nous fait entrer dans cet insalubre labyrinthe, stoppe sur une placette pourrie, et va frapper à une porte, là-bas… Il revient quelques instants plus tard avec un magnifique vieux bonhomme, les yeux au kool et la barbe blanche, qui vient ouvrir un atelier.
Ouah ! Il y là des milliers de litres de carburant en tout genre, dans des centaines de bidons de bouteilles de cinq litres… Je te raconte pas les effluves… Faudrait voir à marcher avec circonspection pour ne pas qu'un malheureux silex ne prenne l'idée de faire une toute petite étincelle…



C'est un peu de la contrebande, tu vois, parce qu'un peu plus bas existe une zone dans laquelle le carburant est détaxé. Alors le gars remplit un antique Land et fait un peu le trafic…
J'aimerais pas être dans la cabine, parce que le salaire de la peur c'est bien avec Charles Vanel et Yves Montant, mais avec Vieupétrole, non…

Pour les paysages c'est toujours aussi fabuleux.









Un balisage pratique.



Ou anecdotique.



Et d'une incroyable variété, nous transportant de rocaille en lac asséché.



Ici, pour tout horizon… le lac : gigantesque.







Toujours ce vent de folie, et comme Damien fait une petite fixette pour que nous cassions la croûte au milieu de ce décor, nous serrons les tortues à se toucher pour s'abriter un peu.


Je ne me souviens pas de ce que nous avons bu, peut-être que c'est seulement l'excitation due au vent, mais ensuite ce fut gros délires en tous sens.

Lâché de pains sur le lac : les galettes trop sèches que l'on laisse aux animaux sont parties dans le sens du vent, et se sont mises à faire la courses, côte à côte, jusqu'à disparaître à l'horizon ; on sait même pas encore laquelle a gagné…




Quart d'heure de folie automobile : faire des rond sur le lac, volant et accélérateur à toc, très esthétique et grisant. Et totalement stupide, j'assume…





Tentative de vol, mais sans effraction : tu mets le blouson, et tu te laisses aller face au vent, qui te retient à mi-descente. Mais s'il tombe… toi aussi…
De face :



De dos, c'est un peu gonflant…




Finalement départ en direction de là-bas tout au bout, pied dedans, jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que la surface du lac est vérolée de grosses marmites.



Que si tu mets une roue dedans c'est le tonneau assuré… alors calmos et vigilance parce qu'on avionnait quand même aux alentours de cent à l'heure….

Et toujours cette grisante sensation d'espace et de liberté.



En fin d'après midi, gros moment d'émotion puisque nous touchons au but de ce voyage : Smara.

Toutes ces pistes somptueuses ont été parcourues, en 1930, par un type du nom de Michel Vieuchange, qui s'était fixé comme but d'aller voir Smara. Smara, la cité interdite, dans laquelle il pénètrera au terme de 1400 km de souffrance et d'abnégation, qui sera son but et sa fin, puisqu'il ne survivra pas à cette aventure.
Ce genre de folle histoire me touche, parce que si la nature humaine me déçoit souvent, elle me ravit parfois.
Pour les plus curieux : "Vieuchange" sur gougueule, c'est succinct mais suffisant pour amorcer l'émotion.
Damien a aussi une histoire d'amour avec cette cité, mais on sait que, parfois, les histoires d'amour finissent mal… Notre séjour à Smara sera bercé de nostalgie, d'amertume, de rêve étiolé, bref, d'humanité. J'ai bien aimé.

A commencer par le bivouac du soir, carrément dans les dunes. Là, c'est du grandiose. Nous avons quitté la route et taillé droit vers un cordon, sur une immense plaine de sable porteur : rien que ça, top.





Nous sommes passés au pied du relais Michel Vieuchange, planté en plein désert. Ensuite cap tout droit et, tu la vois la grosse dune ? On va dormir au pied !







Arrivée au soleil couchant, la dune qui flamboie, le désert immense, et nous au milieu !






Alors, la nuit, tu fais des rêves que tu ne feras jamais ailleurs…




Episode 16 : L'homme de Smara.


Un qui a rêvé un peu trop fort, c'est l'ami Claude qui, en plein désert, a réussi à fermer les clés dans sa bagnole. Très fort…



On ricane d'abord de le voir tourner autour du tas de tôle inerte et clos, puis on lui annonce que sa femme et lui vont mourir ici, puis on massacre la portière pour faire passer un long crochet et récupérer le sésame. Voilà une journée qui commence fort.


La journée, c'est Smara.
Le relais Vieuchange se trouve entre le bivouac et Smara, et nous visitons l'endroit. Imagine l'immense plaine de sable, un petit promontoire, et là, quelques rêveurs ont construit un relais, destiné à être le dernier d'une chaine jalonnant la piste Vieuchange, pour commémorer le parcours du doux rêveur, partant de Tiznit pour relier Smara.
C'est un endroit magique, c'est un projet fabuleux, c'est en ruine, c'est pillé, c'est que la loi n'est ici pas tout à fait la même qu'ailleurs parce que nous sommes très près du Sahara Occidental, et que, comme partout, les frontières sont à l'origine de petits trafic et de petits arrangements qu'il ne faut pas perturber…



Donc le rêve s'est brisé sur la cupidité, le pouvoir, et tous ces attributs de l'humanité qui ont fait écrire à Romain Gary que l’inhumanité fait partie de l’humain. Si vous avez mal à la tête, buvez un verre d'eau fraîche et relisez en respirant lentement.

Damien, qui a côtoyé ce projet, est accueilli à Smara par les grands sourires et embrassades de son grand ami Toufik. Qu'il a rebaptisé Tout Flic, puisque ce gars est là uniquement pour le surveiller à longueur de journée lorsqu'il débarque dans la région…

Un grand moment de la journée fut le passage chez le barbier, prévu de longue date puisque nous laissions pousser les poils depuis dix jours en prévision de ce moment. C'était ma première expérience dans ce domaine et je recommande chaudement, surtout entouré de potes qui vannent gravement pendant que le rasoir te parcours la gorge, et que le moindre mouvement de ta glotte peu dégénérer en boucherie…








Ensuite ce fut une petite réparation sur la Flat Cab, un petit crochet de verrouillage à refaire, mais une réparation au Maroc, c'est toujours quelque chose de magique…
D'abord tu imagines bêtement que pour faire un trou dans du métal, on marque soigneusement l'emplacement des trous sur la pièce, puis on prend une perceuse avec une mèche, et, avec mille précautions, on perce. Ben non.
Ici ça se passe de la manière suivante : le type prend le morceau de ferraille et vient voir où il faut le fixer. Pas de crayon, mètre ou autre accessoire inutile, mais une grande concentration. Il revient vers la caverne qui lui sert d'atelier, et branche le poste à souder, un truc que si tu le vois dans une poubelle, tu peux même pas imaginer à quoi ça sert… Ensuite il tient la pièce d'une main et plante vigoureusement l'électrode dedans en appuyant bien bien. Ceux qui suivent ont remarqué qu'il n'a que deux mains et que donc, le masque… bof…
Il te fait donc les deux trous au pif et avec la grosse artillerie, et l'extraordinaire, c'est que lorsqu'il présente la pièce, et ben c'est : pile poil ! C'est pas de la magie, çà ?
Ensuite il a deux rivets à ôter sur la Flat : s'il fait seulement semblant d'approcher avec son poste à souder, je l'étrangle.
Nan, le gars étudie le problème en se grattant le crâne, se tourne vers l'arpette et lui baragouine un truc qui se finit par "fissa fissa". Le môme décolle comme si la piste était bien trop courte et revient moins de deux minutes après avec… une perceuse…
Ben tu vois : quand tu veux…

Là, tu imagines déjà qu'il va choper une rallonge et brancher l'appareil. Pas du tout…
Premièrement la perceuse se termine par deux fils dénudés, si si, et deuxièmement le vieux morceau de câble qui va servir de rallonge bénéficie du même système sophistiqué...
Les âmes sensibles, sautez quelques lignes, parce que là, c'est du hard.
D'abord, pour vérifier qu'il y a bien du jus, il fait une jolie étincelle avec les deux fils : OK !!! Comme rien ne disjoncte alors, tu comprends bien que la norme TÜV 2012 il s'est déjà torché avec, et que le trente milliampères est pour lui un objet de Science Fiction…

C'est pas fini : il t'accroche vaguement les fils ensemble, sans toucher avec les doigts parce que c'est quand même pénible, hein, puis il fouille le sol des yeux. À ce moment, je reconnais que j'ai un peu hésité, comme quand tu regardes un film mal enregistré et que quelques secondes ont disparu…

Mais non, c'est du vrai direct live : le gars vise un vieux sac en plastique par terre, le ramasse, le déchire avec les dents, et entortille chaque morceau autour de ses… on peut dire connexions ?

Puis, attention mesdames et messieurs, brusquement, il fourre tout ça dans son pantalon ! Tu sais : là où se trouve aussi son matériel de reproduction !

J'ai un instinctif mouvement des mains vers ma braguette, comme quand tu regardes le film "Marie à tout prix": lorsque le type se coince la délicate peau du paf dans les grosses dents de la fermeture éclair en la remontant d'un coup sec, tous les gars de la salle se tiennent le bazar en chuintant "niiiiiaaaaouuuuuu !!!!"

Et ben là encore : magie. Le soir il pouvait encore honorer Fatima et ma Flat Cab était réparée !

J'adore les marocains !

Bon, ce voyage, ce n'est pas seulement vroum vroum et glou glou.
Donc, à Smara, nous vaquons à des occupations de touristes.
Nous achetons de la viande et des légumes, portons le tout chez un cuisinier, et dix minutes plus tard le gars nous apporte des boulettes sublissimes et une magnifique garniture de petits légumes. Si tu veux la table au soleil, pas de problème, à l'ombre, pas de problème, sur la place du quartier, toujours pas de problème. J'adore les marocains !






Un peu de vadrouille en ville, histoire que ma passagère rafle une douzaine de tajines pour faire des cadeaux, et ensuite démerde-toi pour caser ça dans la voiture…
Nous découvrons aussi une façon nouvelle, radicale et musclée de réaliser le Rubik's Cube sans se prendre trop lâ tête :


J'adooooore !

Grosse étape demain, alors on remplit les engins, mais au prix du détaxé : ouais, en gros cinquante centimes…

Ça énerve, hein ?


En même temps, plein d'eau, et le bouchon mal verrouillé se fait naturaliser marocain… Alors bricolage avec bouteille de lait, mousse, canette de bière, plus un peu de bois, et yallah…



Nous avons ensuite retrouvé la stèle commémorant l'aventure Vieuchange, un peu vandalisée parce qu'ici on n'aime pas trop cette histoire d'infidèle qui entre dans la cité interdite sous la barbe des gardiens.



Puis visite des remarquables ruines de la citadelle et de l'ancienne mosquée.




Ici, deux petits moments hors du temps.
Les femmes se réunissent une fois par semaine dans une salle, et nous passons justement devant : elles nous invitent à partager le thé, nous, les étranger… Moment assez spécial puisque leurs hommes se feraient écharper s'ils tentaient d'entrer…
On s'assoit, on papote, le thé arrive, les discussions vont bon train, il y a du maquillage, de l'iphone, des sourires complices. Et puis le Damien sort les petits sachets de bijoux pour remercier et fait sa distribution : surprise et succès total.
Nous prendrons congé de ces dames en remerciant chaleureusement, conscients d'avoir vécu un moment rare.

Plus tard nous pénétrons dans la zaouïa du petit fils du Cheikh Ma el Aïnin : un homme très âgé se tient demi-allongé au milieu d'un monceau de livres, il médite. Le silence est total, le temps est suspendu. Un instant d'éternité.

L'éternité c'est long, surtout sur la fin, et la fin de notre aventure avec Damien approche : demain matin il nous quitte pour remonter sur Marrakech, huit cent bornes avec son appareil, on ne l'envie pas. C'est donc notre dernière soirée, nous retournons au pied de la grande dune, et une ombre de tristesse plane.





Je me dévoue pour alléger l'atmosphère : plantage dans les traces de la veille. J'insiste vraiment beaucoup, et finis posé sur le ventre à la grande joie du public, hilare : opération réussie. La Flat est plus flat que flat !









Tellement réussie que Damien plante le Land en tentant de me treuiller, et que lorsque nous finissons l'opération il fait grand nuit. Chose promise chose due, je remercie Damien avec toujours à l'esprit l'idée d'égayer cette soirée, et réussis au-delà de mes espérances… Claude est un rapide de la photo, donc il y a des traces…




Episode 17 : La ruée vers l'Ouest.


Au matin Damien décolle, nous restons deux équipages, un peu tristes. Là, j'ai pas aimé du tout. Parce que ce zèbre faisait partie de l'équipe, et un membre de moins, c'est plus la même… Je suis trop sensible aux ambiances, 'tite fiotte qu'il dirait, l'autre gros lâcheur, là…

Parti...


On pense vite à autre chose grâce à Claude qui a bien senti lui aussi qu'il fallait nous distraire : il se plante en démarrant ! C'est-à-dire qu'il ne fait pas quinze centimètres, ni dix, ni cinq : il descend dans le sable dès qu'il embraye...
Pelles et plaques nous feront oublier l'épisode départ, merci et bravo Claude...


La navigation, c'est donc désormais Claudius, qui possède le super engin avec écran home cinéma et détails signés Gandini, genre troisième cactus à gauche après la carcasse de chameau.


Nous rejoindrons donc Laayoune par la Seguiet El Hamra, large vallée de 400 kms, deux jours en prévision.
Le début de piste est assez fatiguant, serpentant entre des dunettes très cassantes. À l'arrêt de midi, Claude en découvrira les conséquences : vin rouge explosé dans le frigo, et nouvelle peinture de tout l'arrière de la cellule !!


Ici je dois ouvrir un petit chapitre pratique sur la protection de tout ce que tu trimballes dans la cellule en conditions de conduite "pistes".
Depuis le début de ce périple, nous galérons régulièrement avec les ouvertures et épandages intempestifs, dans et hors des frigos. Là, Raid Freezer va se fendre d'un petit rappel sur ses convictions profondes concernant les frigos ; il va craquer, je le sais, y pourra pas s'empêcher...

La première alerte fut le pâté de palombe de Claude : échappé d'un casier par la grâce d'un saut plus important que les autres, le coquin s'est répandu sur le sol de la cellule, parfumant certes l'endroit, mais rendant le sol glissant et incompatible avec un usage quotidien des lieux… Vas-y, frotte…

Nous réussîmes pour notre part un très bel écrasement d'œufs dans le frigo, suite à l'effondrement d'un rayon. Les dégâts étaient déjà assez sympas, mais ma douce, sans doute énervée par la colère, réussit un très beau barbouillage à l'œuf des grilles de haut-parleurs en transvasant l'omelette du frigo vers l'évier ! Les grilles de haut-parleur, tu sais, les petits tamis hyper fins… Vas-y, frotte…

Égalité donc entre les deux équipes.
Claude marqua ensuite un très beau point avec un liquide gluant, non identifié mais verdâtre, et là, Nicole sa douce à lui, doubla le point par une remarquable série de jurons, à mon avis indispensables pour ne pas craquer. Vas-y, frotte quand même…

Nous essayâmes ensuite le dévissage du bocal de pesto : l'huile et les herbes répandues dans tout le frigo n'étaient pas très spectaculaires, mais le tas d'essuie-tout nécessaires à l'épongeage racontaient assez bien l'ampleur de la tâche. Frotte.

Claude contre-attaqua rapidement avec un vidage total de tous les casiers de la cellule, suite à une série de bosses qui n'avaient pourtant pas l'air, vues de loin…

Nous eûmes ensuite le bocal de choucroute échappé de son casier et ouvert sur le sol : tout le monde fut un peu déçu de la prestation, puisqu'on put même récupérer la charcuterie pour le repas…

La boîte de haricots vert percée par les frottements fut par contre un assez bel épisode, parce que là, ouverte qu'elle était depuis longtemps, le jus puait vraiment bien. Il faut dire que cette pauvre boîte avait déjà fait le Raid des Balkans en juin : il y a des limites à la résistance du métal…

Nous avons aussi fait le vernis à ongles dans la trousse de toilette, Madame a beaucoup aimé, et, last but not least, l'extraction de leur emballages de toutes les petites gélules de médicament : tu sais, c'est de l'alu dessous et du plastique transparent dessus. En une vingtaine de kilomètres de piste rapide, tout le monde était de sortie…

Conclusion : bourrer le frigo avec les poches vides qui contenaient le vin dans les cubitainers et que tu gonfles, mettre tout ce qui peut couler dans des bacs plastiques ; bloquer le dessus des casiers avec de la mousse, ne pas embarquer deux fois les mêmes boîtes de conserve et mettre les œufs dans des boîtes spéciales en plastique.

Parce que fermer les yeux en murmurant "Hoooooooommmmmmmm" à chaque ouverture de cellule pour retarder le moment de vérité, ça finit par lasser….

Bon, les pistes vers Laayoune sont variées, magnifiques et fatigantes.






On passe du totalement minéral à une jolie savane, et l’étonnement vient de cette permanente courbe de niveau qui nous accompagne tout au long de la vallée.








Nous sommes parfois en dessous, parfois au dessus, et on la retrouve partout, sur le moindre piton rescapé de l’érosion. Une sorte de fil conducteur qui accompagne le voyageur sur des centaines de kilomètres.









Episode 18: Danse avec les vagues.


L’arrivée sur Laayoune se fait par une très large avenue, franchement disproportionnée. Cette ville est assez spéciale : elle vit de l’ONU. Les gens de cette organisation sont là en observateurs du conflit Maroc / Sahara occidental, ils occupent à l’année tous les hôtels de la ville et font marcher le commerce.
J’ai un peu observé, et j’ai observé peu d’observateurs… Peut-être qu’ils observent les bords de piscines ou les plafonds des chambres…

Après deux semaines de désert nous arrivons donc sur la côte, et nous filerons désormais vers le nord. Je déteste ce sentiment de remontée, de presque fini : mes fins de voyage sont toujours gâchées par cette imminence.

Mais c’est pas pour ça que nos aventures sont terminées, parce qu’aujourd’hui je vais vivre la vraie grande expérience d’un quatre-quatreux de base : rouler sur la plage. Et rien que pour ça, c’est sûr que je reviendrai.

Comme nous venons de rejoindre la mer, une envie de terrasse au bord des vagues me vient. Nous sortons donc de Laayoune pour rejoindre Laayoune-Plage, si si, ça existe, et trouver, tu sais, le genre de bar avec des tables basses, des fauteuils confortables, le soleil sur tes lunettes et la bonne chaleur qui t’enveloppe tandis que tu regardes la bière fraîche et l’océan.
Ben… Laayoune-Plage ressemble pas trop à mon rêve, c’est moche, sale, et un seul rade est ouvert, mais vraiment juste juste parce que les chaises sont sur les tables, un peu comme si on ne nous attendait pas, quoi…

On gare quand même les tortues face à la mer, et on va siroter quelques boissons, pour faire comme si…


Pendant qu’on sirote j’entends passer deux 4X4 aux échappements disons… allégés… Mon oreille coche le son dans un coin de mon cerveau et, comme j’arrive à boire et réfléchir en même temps, j’identifie le son comme étant celui de deux HDJ bien préparés : les HDJ je les ai fréquentés pendant quelques temps au mois de juin, sur le Raid des Balkans (yadumondeauxbalkans.blogspot.fr/ ) alors je les ai un peu dans l’oreille.
Et là je me dis que, vraiment, ça ressemble à…
À ce moment là je vois les deux engins revenir dans l’autre sens et se garer à côté de nos cellules. J’ai déjà divagué un peu plus haut sur la statistique qui se met en berne lors de certaines rencontres : et ben là, pire : la statistique se prend un tel coup dans la virgule qu’elle se tire à gauche d’une dizaine de zéros.
Je vois un couple entrer dans le bistrot, ils sont juste de retour d’une reconnaissance au Mali, ils ont juste vu la Flat Cab sur le bord de la route et ont juste fait demi-tour parce que ce sont juste les organisateurs du Raid des Balkans, Christian et Chantal, qui passaient juste là juste à ce moment !


Eh : tu mets ça dans un film, on te dit encore que ton scénario tient pas trop la route !
Dans ces cas là j’embrasse, parce qu’une rencontre comme ça c’est un signe du destin ; ça veut dire que les gens étaient faits pour se rencontrer, et ça se fête.
Nous apprenons dans la discussion que si nous voulons passer par la plage c’est le moment, vu que la marée est descendante, le Christian a tous les papiers qui racontent le flux et le reflux, et si je devais faire un jeu de mots Stupide, je dirais que ça me fait marée…

On se quitte rapidement, ces gens là sont pressés, ils travaillent… si tu veux les plaindre tu peux, moi ils me tireront pas une larme… toute l’année sur les pistes, je connais pire comme boulot…

Claude nous fait rejoindre la plage par une route sans cesse assaillie par le désert.


Et ensuite on va faire le grand run au bord de l’eau ! Tin tin tin !!



Un truc qu’on n’avait pas bien calculé c’est « rejoindre la plage »… Ce qui implique de traverser une grande bande de sable. Mou, le sable… Claude se la fait un peu fillette et se plante gravement : pelles, plaques, et les autochtones qui viennent profiter du show habituel.





Il s'extirpe, rejoint la plage, mais on s’aperçoit alors que, si la marée est bien descendante, le sable est encore bien gorgé d’eau et qu’il ne faut pas oublier de plomber la pédale de droite pour avancer.
Je le rejoins sans plantage mais limite limite, les 163 CV du Zouzou ont l’écume aux pistons… Oui ? Un doigt levé là-bas ? Une question ? Si on a dégonflé ? Euhhh… ben non… on a un peu oublié…

Alors que je te raconte la suite, en essayant de ne pas baver...
Mais, d'abord, petite parenthèse, à l'usage des taquins qui pourraient trouver tout cela bien puéril et bien vain.
Cela est bien puéril et bien vain. Voila.

C'est vrai que nous sommes tous de vieux bébés, au mieux de grands enfants...
Qui vivons dans une société totalement schizophrénique, nous offrant pleins de beaux jouets avec interdiction de s'en servir ; et nous transformant ainsi en de vilains garçons hyper culpabilisés dès qu'ils font pipi à côté du pot.

J'ai, depuis tout petit, une fâcheuse tendance à penser que cette société là nous manipule sans arrêt, et donc, tout naturellement, à ne pas entrer dans son jeu. On me qualifie souvent de rebelle, je préfére "résistant"…

Boris Cyrulnik, psychologue éclairé et respectable, a écrit :
"Rebelle ne signifie pas s'opposer à tout. Rebelle signifie se déterminer par rapport à soi-même."

Alors ; Broum broum, j'assume totalement, et personne ne viendra me faire culpabiliser là-dessus.

Surtout pas les "baroudeurs sac-à-dos compassionnels" qui te prennent l'avion comme moi le vélo pour aller porter trois cahiers pourris et deux crayons de couleur à des Tibétains.

Surtout pas les casses-burnes en voiture électriques qui se trimbalent un groupe électrogène et 20 litres d'essence dans le coffre pour pouvoir refaire le plein d'électricité en route… rigole pas, j'en connais !

Surtout pas les planteurs de chèvres en Ardèche qui rôdent avec un J5 de trente ans d'âge que tu peux suivre à la trace sur gougeuleurf avec le nuage bleu qu'il dégage.

Et surtout pas les encravatés ministres de ci ou de là et sinistres clowns qui te pondent vite fait une loi de protection de la Nature avant de prendre le jet privé pour aller faire les soldes à New York.

Si vous voulez allonger la liste, il y a de quoi...

Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah, on est mieux là…

Alors, oui, la suite :






Parce que là, rouler sur la plage, c’est du lourd. Et pas si facile que dans les films : la limite entre sable porteur et sable planteur n’est pas évidente à trouver, et lorsque tu sens le bestiau descendre dans du mou et ralentir gravement, tu as le choix entre plus près de l’eau et plus près du bord, et aucun indice pour te guider. Ce que j’ai bien compris c’est que la vitesse est super importante et qu’il ne faut pas hésiter à gazer férocement !
Exemple ? Regardez bien sur la fin comment l'appareil descend dans le mou :

Claudius on the beach.

Mais une fois lancé, mama mia quel pied ! Taquet taquet, entrecoupé de petits arrêts photos, petits films : tu as déjà vécu cette sensation d’être dans le rêve ? Les mouettes qui décollent à ton approche, la vague qui se retire pour te laisser passer, les gerbes que tu règles à ton gré en allant plus ou moins dans l’eau, et… le petit frisson d’angoisse avec le petit scénario qui te montre enfoncé jusqu’au châssis tandis que la marée monte…

Vieupat on the beach.

Une qui a déjà vécu l’expérience de la marée qui monte, c’est Nicole, en Mauritanie, avec la dune d'un côté et la mer de l'autre, qui avance inexorablement… Elle en garde une petite crispation au fond de la gorge, un petit serrement, et le Claudius, le sachant, n’insiste pas trop longtemps.
Lorsqu’il rejoint la piste qui longe la plage, nous voyons son engin qui ralentit, s’enfonce, ralentit encore et finit vraiment à la limite du hors jeu.

Fort de cette apocalyptique vision, je quitte à mon tour la plage, avec la pédale collée au fond et, donc, très, très vite… On peut dire trop vite d’ailleurs, parce que côté passagère j’ai bien senti une petite tension, genre confiance limitée.
Explication de la chose ? Le Claudius a simplement parcouru sa fin de plage et sa sortie avec… le frein à main serré…
Moi j’appelle ça une nainerie…

La piste longeant la plage nous promène ensuite tranquillement de cabanes de pêcheurs en falaises, avec, environ tous les cinq cent mètres, une petite cabane rose, en dur.


Renseignement pris, ce sont des postes de police, répartis sur des centaines de kilomètres de côte et destinés à lutter conte l’immigration clandestine. Quand tu connais le niveau de vie au Maroc, tu as de la peine à imaginer qu’on puisse immigrer ici pour améliorer son sort…

Nous bivouaquerons au milieu de dunettes, suffisamment loin de l’océan pour dormir au calme. Parce que si la journée on apprécie le déchainement des vagues, lorsqu'on aspire à un peu de calme, le pépère ne s’arrête pas pendant la nuit…




Episode 19 : Le casse...

Le lendemain nous sommes à Tarfaya, vous voyez, je fais quand même un effort pour vous situer un peu le trip.


Nous sommes là parce que Damien nous avait conseillé de ne pas manquer la visite du musée de l’aéropostale. Nous arrivons en vue du musée et je remarque deux jolis avions sur la piste, un jaune et un blanc. Mais le musée est fermé, nous sommes samedi, déception.


Nous glandons sur le bord de mer, engageons la discussion avec un môme qui parle bien le français, et qui nous dit que « pas de problème, je connais le gardien du musée, justement regarde là-bas il roupille sur le banc, je vais lui demander d’ouvrir. »
Ah, bon… j’imagine difficilement ce plan dans notre beau pays...
Le môme parlemente un peu, le type vient à nous avec un sourrire plein de trous,et nous annonce que nous sommes les bienvenus chez lui et c’est par ici, on y va. Petit détail, c’était hier les élections et le musée était transformé en bureau de vote. Pas de problème, le môme appelle un copain, et ils te rangent tout en un peu moins de dix minutes, et par ici m’sieur-dames pour la visite. Et oui, le Maroc, c’est comme ça.

Tandis que nous visitons, j’entends le beau bruit d’un douze cylindres lancé à fond, puis d’un autre, et j’apprends que les deux zincs que j’avaient aperçus en arrivant étaient les vrais, d’époque, les Latécoère Laté 28 et Breguet XIV de Saint Ex et Mermoz, qui sont là environ une fois par an, que c’était pile aujourd’hui, et que… ils viennent de décoller !!
On peut pas rembobiner le film ?

De quoi se la prendre et se la mordre, non ?

Bien, après le broum broum sur la plage, on a fait broum broum sur d'autres piste et ça nous a donné faim.
Alors on casse une croûte et puis on repart, Claude fait la route bien bien mais je sens qu’un truc l’angoisse un peu : c’est le passage du Draa. Il l’a déjà manqué une fois lors d’un précédent voyage, et sait que c’est parfois assez aquatique comme traversée…

Il nous promène donc le long de la côte, et c'est franchement superbe et varié.

Des salines.

Des capitaines foireux.


Des petits paradis.


Des bestioles roses et aquatiques.


Des océans insatiables à l'attaque de falaises.


Des bestioles motorisées.


Sur ces falaises vivent des pêcheurs. Vivent ou survivent, parce que les cabanes qui les accueillent lorsqu’ils ne trempent pas le fil dans l’eau sont vraiment dignes d’un bidonville.




En plus ces types zonent au milieu de nulle part, exclusivement entre hommes et il n’est pas très étonnant que l’un d’entre eux, à notre passage, fasse le geste de boire à la bouteille et de chavirer…
C'est sans doute ce qu'on appelle "avoir le Coran alternatif"…

Comme nous étions sur des falaises, il est normal que nous descendions pour rejoindre le gué tant attendu. La descente est un peu limite pour nos engins, c’est de la grosse marche avec le vide à droite, et nos coéquipières sont soudainement prises d’une envie de faire des photos…




Mais la piste qui suit nous offre le Far West.



Le radier permettant de traverser le Draa se pointe finalement devant nos roues, et Claude est quasiment déçu de la facilité avec laquelle nous le traversons. Mais c’est vrai qu’en cas de crue, il faut certainement se faire guider pour rester sur le chemin, parce que de chaque côté il doit y avoir du gros bouillon…



Nous serpentons quelques temps entre de grosses touffes d’herbe, remontons sur une falaise et là…
c'est du beau : sable, dunette, l'océan en fond.









Nous serpentons encore et là…
c’est le drame…
La piste sablonneuse à souhait permet de rouler assez vite, mais quelques bosses bien cassantes peuvent calmer les ardeurs.



Le Claude, lui, de l’ardeur, il en a, et il se prend une bonne grosse série à bonne vitesse. Nous le chambrons un peu sur les conséquences pour le frigo, il repart, il s’arrête, et annonce que la cellule touche la cabine…
Oooohhhh ?
Vérification : je cours à côté de lui pendant qu’il roule et voit effectivement la cellule venir taper la cabine…

- Rupture des silentblocs de benne, diagnostiqué-je plein d’espoir.




Claude s’allonge sous la voiture, à gauche, se relève l’air soucieux mais sans un mot, s’allonge de l’autre côté, s’assoit, et annonce, du même ton qu’on prend pour dire à un pote que sa braguette est ouverte :
- Le châssis est cassé, des deux côtés.

Là, je dois dire qu’il y a eu un blanc… Parce qu’on est quand même au milieu de nulle part, que la nuit va bientôt tomber, et que ça m’étonnerait qu’on voit une borne orange avec un téléphone, ou une dépanneuse, dans les dix ans qui suivent…

Bien que ça ne serve à rien, je me glisse sous le véhicule de Claude, et je dois dire que voir ces deux énormes morceaux de ferraille cisaillés de la sorte, ça fait un choc. A tel point que j’impose à Claude la pose du cric avant tout nouveau passage sous le châssis : on a vraiment l'impression que l'engin va se plier en deux...




Je dois honteusement avouer qu'à ce moment là je me suis éloigné, puis doucement allongé sous le Zouzou, un cierge dans une main, un chapelet de l'autre, une couronne d'épine autour du front, les deux autres mains jointes et les yeux mi-clos en marmonnant des bondieuseries...

Bon, un châssis c’est une échelle n’est-ce pas ? Alors on sangle entre eux les deux barreaux de chaque côté de la cassure. Puis on décide qu’on va prendre l’apéro et faire comme d’habitude, parce qu’il fait nuit et que toute décision prise dans la précipitation sera néfaste.

Pour te dire la confiance qu'on a alors en la solidité du châssis, on a même pas osé bouger l'engin d'un centimètre : il est donc resté posé sur son cric, au milieu de la pistes, et on a mis les triangles devant et derrière pour passer la nuit tranquille… parce que tu sais… la statistique qui te dit que personne ne passe jamais ici la nuit… et ben les statistiques, depuis quelques temps, j'ai une confiance en elles très limitée …


Episode 20 : Adieu l'ami.

On s'en tirera finalement, en sanglant la cellule sur la cabine (j'avais la grosse sangle de 9m en cas de rupture des fixations cellules…), puis en parcourant quarante kilomètres sur des œufs, puis encore soixante dix de route pour arriver à Guelmin.
Je ne conseille cependant à personne de suivre un véhicule au châssis cassé, c'est fatigant pour les nerfs : la moindre bosse te voit plisser les yeux ; et pour les passages d'oued, c'est au niveau du postérieur que ça serre férocement…




Arrivés au bled, Claude a trouvé un réparateur en moins de cinq minutes, et pris rendez-vous pour le lendemain.
Les sachant désormais tirés d'affaire, nous quitterons Claude et Nicole qui, après la réparation, doivent aller voir des amis, tout là-bas, à l'Est.

Voilà, encore un mauvais moment, celui qui dit "allez, bonne continuation, et à la prochaine". Ah p…. que j'aime pas ça, on a passé dix jours ensemble, et, chez moi, ce sont des liens que l'on déchire…
Bon, je vais pas faire ma douillette, mais rassurez-moi un peu : vous connaissez ce sentiment de déchirure, comme ça, après une bonne tranche de vie ensemble ?


Episode 21 : Les bronzés font le Maroc.


En conséquence, nous faisons maintenant équipe à deux ; on a un peu l'habitude, voilà trente huit ans que ça dure…
Et naviguerons désormais avec la vieille carte du Maroc de 1995 que j'ai embarquée in extremis avant de partir, vu que j'ai même pas le Maroc sur mon GPS… Ah je sais, j'ai pas trop la baroudeur'attitude…

C'est pourquoi nous allons donc désormais nous la faire "gros touristes".
Mais le Maroc reste beau même vu du goudron et, en choisissant les minuscules routes, on découvre de petits bijoux.







Nous arriverons sur Tafraoute par une minuscule vallée tapissée d'oasis, et naviguerons ensuite dans le superbe chaos surplombant la ville, sur une piste incroyable : du granite pur, une adhérence de toile émeri et heureusement, parce que vu les pourcentages et les dévers il y avait vraiment de quoi s'envoyer en bas.
Mon inclinomètre envisageait d'ailleurs, encore, de descendre "faire des photos", mais après ouverture -difficile- de la portière, elle réalisa que les quatre pneus avaient une bien meilleure adhérence que ses deux godasses...donc, pas de photos parlantes...









Dans cette région, je regretterai maintes fois de n'avoir pas une troisième place de disponible, parce que l'auto-stop est souvent le seul moyen de déplacement, et j'aurais vraiment préféré les embarquer plutôt que de leur faire le petit signe idiot qui dit que tu es désolé… La prochaine fois, je prévois.

Ce voyage est décidément celui des rencontres improbables : nous allons dormir dans un camping, le seul de ce voyage. Et le proprio, du genre expansif dans l'immodestie, nous colle sous le nez son livre d'or : je suis bon garçon et, au lieu de lui refourguer son parchemin d'un air dégoûté, je le feuillette distraitement.
Et tombe sur un petit paraphe de… nos voisins…qui sont passés ici un mois auparavant. Anecdotique, n'est-il pas ?

Demain, on remonte. Ce sera le dernier récit, agrémenté de quelques portraits inédits…
Et distrayants…



Episode 22 : Le cœur des hommes.

Bon, il faut finir, alors quelques images qui ont du poids, le poids de leur histoire, le poids de l'instant vécu, du bon moment.

Damien, mort de rire quand je me plante jusqu'au ventre.
Juste avant c'était les deux imbéciles, les mains dans les poches, à côté de ma vitre ouverte, qui commentent en ricanant mes efforts et ruses pour extraire le Zouzou du sable. Ils ont la banane des grands jours, le commentaire volubile et gouailleur, et je les vois grandir à mesure que je m'enfonce…




Un puits au milieu de nulle part, le genre d'endroit qui me fait toujours penser que la terre est généreuse ; et la photo d'une bande de copains.


Le virage à droite face à l'océan, qui signifie que l'on prend la route du nord, du retour. Et le panneau qui n'attendait que nous pour enfin servir à quelque chose.



Claude dans son grand numéro d'homo erectus.

Damien au relai Michel Vieuchange. L'histoire d'un rêve, et d'un amour déçu.

Damien et son clebs. L'histoire d'un rêve, et d'un amour comblé.

Et Raid tout raide, criant "Ciel, ton mari !" en sortant de chez moi…

Et puis la remontée, et… le Maroc.

Le Maroc où, pour connaître la température extérieure, tu regardes le carton fixé devant la Peugeot : plus il est grand, plus il fait froid !

A Tafraoute, dans le somptueux chaos, un artiste a passé dix neuf tonnes de peintures pour ce "chef d'œuvre"… Dix neuf tonnes... franchement...

Le chameau, que tu ne trouves pas seulement dans le désert.
Tu peux aussi le découvrir en pleine montagne, à la sortie d'un virage bien serré, en train de brouter de l'arganier au milieu de la route : tu vas piler avec énorme zoom sur ses balloches, et il va te regarder avec le même air hautain que ses congénères.
Même si tu as les dents plantées dans le volant...

Après le sud et ses villages planqués, un village perché, on va bien vers le nord…

Ensuite, c'est encore beau, c'est encore chaud, mais on voit… la neige.

Un champ de cigognes...

Frontière, casquettes plates qui te passent ton engin au scanner. Et ensuite, allez, la Flat, dans le monstre.

Cabo de Gata, sud de l'Espagne. Nous sommes venus ici en… 76… ça fait... arrête, tu te fais du mal !!
A l'époque, c'était trente kilomètres de pistes après 24 heures de route non stop, une vénérable Dyane, deux gosses, et la tente plantée sur la plage à vingt mètre de la mer. Le village le plus proche était quasi abandonné.

Aujourd'hui c'est un parc national, le village est couvert de métastases touristiques, et la noria à laquelle nous venions chercher l'eau est devenue un site quasiment archéologique…

Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront
Et il saura faner vos roses
Comme il a su rider mon front…


Yallah, c'est fini, je vous sers quelque chose ?











Ça vous a plu ? Un contact : patafon@laposte.net

Et vous pouvez retrouver d'autres aventures sur les liens suivants :

Championnat du monde de triathlon en Floride.
AU PAYS DES GATORS :
https://lepaysdesgators.blogspot.com/

Championnat du monde de plantage dans le sable.
LE BOULET DES DUNES :

https://monbouletdesdunes.blogspot.com/

Championnat du monde de la béatitude.
LA RECETTE DU POIREAU AU SABLE :

https://larecettedupoireauausable.blogspot.com/

Championnat du monde d'amateurisme en Libye.
ON A MARCHE SUR LA DUNE :

https://onamarchesurladune.blogspot.com/

Championnat du monde de romantisme al dente.
DU PIED GAUCHE DANS LA PIZZA :

http://dupiedgauchedanslapizza.blogspot.com/

Championnat du monde de prise de tête.
FLAT CAB :

http://flatcab.blogspot.com/

Championnat du monde de brassage de tortue.
Y'A DU MONDE AUX BALKANS :

http://yadumondeauxbalkans.blogspot.com/

Championnat du monde de persistance dans l'erreur.
BON COMME LA DUNE :
https://boncommeladune.blogspot.com/

Championnat du monde de plantage de camping car
 L'EUROPE, EN BAS ET A GAUCHE. 

Championnat du monde de délinquance
NONO LE CONFINE :
https://confination.blogspot.com/

Championnat du monde de brassage de tortue

Championnat de France de Cross Triathlon
NONO SE FINIT


Commentaires